[DECODE] Obsolescence : fabricants et consommateurs, tous responsables?
88% des téléphones qui sont remplacés fonctionnent encore, selon une étude de l’Ademe.
- La loi anti-gaspillage vient d’être adoptée, par le Sénat impliquant la mise en place d’un indice de réparabilité allant de 0 à 10 pour les machines à laver, les ordinateurs portables, les téléviseurs, les smartphones et les tondeuses.
- Cette loi oblige la mise en place en 2024 d’un nouvel indicateur qui mesurera cette fois la « durabilité » des produits électrique ou électroniques incluant de nouveaux critères tels que la fiabilité ou la robustesse de l’appareil.
- Un appareil sur deux qui est jeté est réparable, selon l’étude de l’Ademe. Le coût de la réparation est une vraie problématique car lorsqu’il atteint 30% du prix du produit neuf, les consommateurs préfèrent en acheter un nouveau.
- L’association Halte à l’Obsolescence Programmée avait porté plainte contre Apple et Epson pour obsolescence programmée. Apple a écopé d’une amende de 25 millions d’euros pour « pratiques commerciales trompeuses par omission » mais l’accusation pour obsolescence programmée n’a pas été retenue. L’enquête sur Epson est toujours en cours.
- Trois types d’obsolescence sont à distinguer : technique, logiciel mais aussi psychologique.
Le téléphone ne fonctionne plus très bien, la batterie ne tient plus ou il n’a pas l’ensemble des nouvelles fonctionnalités ou encore l’appareil photo dernier cri… L’obsolescence revêt plusieurs visages : technologique, logiciel mais aussi psychologique induite par le marketing des marques. Le passage de la loi anti-gaspillage, adoptée à l’unanimité le 30 janvier au Sénat, signe un nouvel élan en faveur de produits plus durables et surtout réparables. Cette loi contient en effet la mise en place d’un indice de réparabilité. Cette indicateur oblige les vendeurs et les fabricants à informer les consommateurs du niveau de la future « réparabilité » des appareils électriques et électroniques allant d’une note de 0 à 10. 1 pour le produit le moins réparable et 10 pour le plus réparable. Cinq produits sont d’abord concernés: lave-linge, ordinateurs portables, téléviseurs, smartphones et tondeuses.
Cinq critères sont pris en compte pour juger de la réparabilité du produit : la disponibilité de la documentation technique, l’accessibilité et la démontabilité des pièces, la disponibilité des pièces détachées, le rapport entre la pièce détachée essentielle la plus chère et le prix du produit neuf ainsi qu’un critère spécifique à chaque catégorie de produit. Pour soutenir la réparation, la loi oblige également les fabricants à informer sur la disponibilité ou non des pièces détachées et la possibilité de fabriquer certaines pièces en 3D.
Cet indice s’inspire d’un indicateur mis en place par Fnac-Darty en juillet 2018 sur les ordinateurs portables. « Le sujet de l’information de la durabilité des produits était une vraie demande de nos clients. Nous voulions démontrer que c’était possible et faisable », explique Régis Koenig, directeur de la politique service et expérience client chez Fnac-Darty. L’indice allant de 1 à 10 a été étendu aux smartphones en 2019. Cependant, la note obtenue par les produits n’est pas affichée en magasin, elle peut être retrouvée en ligne et est incorporée dans la note globale donnée aux produits, prenant d’autres critères en compte tels que le design ou la robustesse. « Nous ne percevons pas une amélioration dans la réparabilité des produits. Nous travaillons avec des géants mondiaux qu’il est difficile de faire bouger. Pour eux, la Fnac ne représente qu’une petite part de marché. Nous n’avons pas non plus encore remarqué de corrélation entre cette note et les achats des clients », précise Régis Koenig.
Un indice de durabilité pour 2024
Mais cet indice de réparabilité imposée par la loi anti-gaspillage n’est qu’un point d’étape vers un autre indicateur. La loi prévoit en effet le développement d’un second indice en 2024, qui mesurera cette fois la « durabilité » d’un produit électrique ou électronique, incluant de nouveaux critères tels que la fiabilité ou la robustesse de l’appareil. « 2024 nous parait être une date assez ambitieuse car les études pour mesurer ce critère n’ont pas encore commencé et la durabilité d’un produit est un constat qui est pour le moment réalisé seulement à postériori grâce au taux de panne par exemple », explique Régis Koenig de Fnac-Darty.
Le groupe a lancé son indicateur « choix durable » sur les critères de la disponibilité des pièces détachées du produit et sa fiabilité liée au taux de panne réel. « Le problème est que pour le moment cet indicateur ne peut être mis en place pour des nouveaux produits. Il nous faut un minimum de 500 produits vendus pour analyser le taux de panne que nous comparons à la moyenne de sa catégorie. » Cet indicateur a été mis en place sur les laves linges en juin 2019 et a eu un impact direct sur les ventes puisque les produits sélectionnés comme « choix durable » par Fnac-Darty ont vu leurs ventes se multiplier par deux au détriment des autres produits. « Cela a poussé certaines marques à augmenter le temps de disponibilité de leurs pièces détachées pour répondre aux critères ».
En ce sens, la Commission Européenne a adopté le 1er octobre 2019, une série de mesures favorisant la réparabilité des appareils électroménagers. Dès 2021, les fabricants vont devoir répondre à cette nouvelle directive en mettant à disposition des pièces de rechange des différents appareils pendant une durée minimum de 10 ans.
L’obsolescence programmée, un délit
La loi anti-gaspillage charge également le gouvernement de produire sous six mois un rapport sur les appareils numériques et l’obsolescence logicielle. Mais il est important de rappeler que depuis 2015, l’obsolescence programmée est considérée comme un délit pouvant entrainer une peine d’emprisonnement et une amende proportionnée aux avantages tirés du manquement à la loi.
Mais pour être considérée comme un délit, l’obsolescence programmée doit avoir été effectuée de manière intentionnellement frauduleuse avec une conception technique visant à réduire la vie du produite. Cela ne peut être porté par un seul utilisateur mais c’est aux associations de consommateurs de se saisir de ces sujets.
En France, deux plaintes ont été déposées contre Epson et Apple par l’association Halte à l’Obsolescence Programmée en 2017. En ce qui concerne Apple, le verdict est tombé début février et le géant américain a écopé d’une amende de 25 millions d’euros. Le parquet de Paris estime qu’Apple est rendu coupable de « pratiques commerciales trompeuses par omission » mais l’accusation pour obsolescence programmée n’a pas été retenue.
L’enquête, qui a été confiée à la DGCCRF, a « montré que des détenteurs d’iPhone n’avaient pas été informés que les mises à jour du système d’exploitation iOS (10.2.1 et 11.2) qu’ils installaient étaient susceptibles de conduire à un ralentissement du fonctionnement de leur appareil », précise la DGCCRF le communiqué. Le 21 décembre 2017, le groupe américain avait reconnu qu’il bridait volontairement les performances du téléphone après un certain temps dans le but « de prolonger la durée de vie » de celui-ci. Une décision prise, selon lui, en raison de l’utilisation de batteries au lithium-ion qui ont davantage de difficultés à répondre à d’importantes sollicitations par l’utilisateur du téléphone lorsqu’elles vieillissent. L’enquête sur Epson qui concernerait des imprimantes dotées d’une puce qui limiterait le nombre de copies alors que la cartouche d’encre ne serait pas encore épuisée, est toujours en cours.
L’obsolescence technologique et logiciel, un problème classique
L’entreprise Sonos a annoncé fin janvier qu’à partir du mois de mai 2020, les produits fabriqués avant 2015 ne pourraient plus bénéficier des dernières mises à jour ou de l’ajout de nouvelles fonctionnalités. « Nous sommes arrivés à un point où certains de nos produits les plus anciens ont été poussés à leurs limites techniques en termes de mémoire et de puissance de traitement », a expliqué Sonos sur son blog.
Un manque de mises à jour qui s’avère problématique pour l’utilisation des appareils concernés. « Sans nouvelles mises à jour logicielles, le fonctionnement général de votre système audio sera perturbé, en particulier à mesure que les partenaires feront évoluer leur technologie », a précisé la marque. Sonos a proposé aux utilisateurs de continuer à utiliser leurs produits en connaissance de cause ou à passer par le programme Trade Up, un programme de recyclage qui a lui-même fait l’objet d’une importante polémique.
Une vague de critiques a surgi sur twitter avec l’apparition des hashtags #Sonosgate et #Sonosboycott avec même la création d’un site internet boycottsonos.com créé par un utilisateur dénonçant un mécanisme d’obsolescence programmée. De nombreux clients ont déclaré sur Twitter qu’ils n’achèteraient plus de produits Sonos et encouragent les autres à en faire de même.
L’arrêt de mises à jour de produits électroniques anciens serait en réalité un phénomène classique en électronique. « Les utilisateurs ne sont pas encore au fait de cette problématique d’obsolescence car les appareils connectés commencent seulement à réellement intégrer les maisons mais c’est un problème classique. Au bout d’un certain nombre d’années, les appareils ne peuvent plus être mis à jour. Ils atteignent leur limites et ne réussissent plus à suivre l’évolution de l’environnement », affirme Sylvie Gamet, fondatrice du cabinet de conseil en innovation Nowall Innovation.
Mais, cela peut également être un choix de l’entreprise pour réaffecter ses priorités, surtout en termes de budget. « Cela permet également à l’entreprise de placer plus de budget et d’énergie dans le développement de nouveaux appareil plutôt que de maintenir d’anciens produits », précise-t-elle.
Des initiatives pour sensibiliser la population
De plus en plus d’initiatives sont justement créés pour sensibiliser la population à la durabilité des produits et à leur réparabilité. En novembre, le ministère de la Transition écologique et solidaire et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ont lancé une campagne de mobilisation « longue vie aux objets », un site de conseils pratiques pour partager ses objets entre voisins ou encore diagnostiquer les pannes de ses appareils et avoir accès à un annuaire de professionnels pour réparer un produit ou en acheter un neuf.
De son côté, l’association de consommateurs UFC-Que choisir a lancé un « Observatoire des pannes » afin de détecter des cas d’obsolescence programmée en rassemblant les signalements des consommateurs.
La société Ethikis a également créé en 2018 le label « LongTime » permettant d’identifier des produits conçus pour durer reposant sur un cahier des charges de 41 critères. Créé en 2018 par la société Ethikis, Longtime est le premier label indépendant qui permet d’identifier les produits conçus pour durer. L’aspirateur Rowenta Silence Force R064 de la marque Seb et des détecteurs de métaux Deus et ORX du groupe XPlorer ont été les premiers produits labilités par Ethikis.
Mais la réparabilité fait face à la problématique du prix de la réparation, souvent trop élevé. « Ces dernières années, le prix des produits neufs a diminué car la fabrication a été délocalisée dans des pays où la main-d’oeuvre est moins chère qu’en France tandis que le prix de la réparation est resté constant ou a même augmenté car elle est souvent réalisée en France. Et lorsque le coût de la réparation dépasse les 30% du prix du produit neuf, le consommateur opte pour l’achat d’un nouveau produit », revendique Régis Koenig de Fnac-Darty. Et en effet, selon les chiffres de l’Ademe un appareil sur deux qui est jeté est réparable.
La durabilité, un nouveau business model
Des entreprises se sont même créées sous le crédo de la réparabilité et de la durabilité des produits. La plateforme Back Market lancée en 2014 qui permet la vente de produits reconditionnés a touché 1,8 millions de clients. Le reconditionnement offre l’avantage d’un prix peu chère, entre 30% et 70% moins chère qu’un produit neuf. « Les clients sont attirés par le prix. Notre objectif est que le taux de panne de nos produits reconditonnés qui est de 5% atteigne les 3% des produits neufs », affirme Raoul Costa de Beauregard, COO de Back Market. L’entreprise facilite également la reprise d’appareils fonctionnels ou non pour qu’ils soient reconditionnés. « Beaucoup de produits fonctionnels sont recyclés alors qu’ils pourraient être simplement reconditionnés », met en avant Raoul Costa de Beauregard.
De son côté, la start-up Kippit a développé une bouilloire multifonctions durable à travers une technique de chauffe spécifique et des matériaux particulièrement solides. La bouilloire est garantie cinq ans et l’ensemble des pièces sont accessibles à vie. Le tout pour la rondelette somme de 150 euros tout de même. La commercialisation commencera fin mars. « Nous avons un partenariat avec une structure de production mais notre objectif est d’internaliser la fabrication en détenant nos propres ateliers », explique Kareen Maya Levy, cofondatrice de Kippit. Il est en effet difficile de céler des partenariats industriels.
Une problématique qui a poussé la start-up L’Increvable qui souhaitait proposer une machine à laver durable a mettre fin à son aventure. « C’est non sans émotion que nous vous annonçons la suspension du projet L’Increvable en tant qu’entreprise faute de perspectives suffisantes en terme de développement technique et industriel. Malgré nos nombreux échanges et nos efforts constants, les discussions menées avec plusieurs acteurs industriels du secteur de l’électroménager n’ont pas abouti à des pistes de collaboration tangibles. L’une des raisons principales étant les doutes de nos interlocuteurs quant à notre capacité à vendre suffisamment de machines à laver L’Increvable pour que cela justifie d’y investir du temps, de l’énergie et des financements de leur côté » a annoncé l’entreprise sur sa page Facebook. Les fabricants exigaient en effet d’importantes garanties en termes de volume d’affaires de la part de L’Increvable, avant d’engager des fonds sur de nouveaux outils de production pour produire leur machine à laver.
L’obsolescence psychologique, une réalité
Mais au-delà de l’obsolescence purement technique et technologique, l’obsolescence psychologique due à un matraquage marketing des marques est aussi très importante. Selon l’Ademe, un français sur deux considère que les marques de téléphones portables pratiquent l’obsolescence programmée. Pourtant, les résultats de leur étude montrent que 88% des téléphones qui sont remplacés fonctionnent encore.
« Les résultats révèlent que ni changer son téléphone ni le conserver pour ne rien en faire ne pose problème aux consommateurs. Il s’agit d’une obsolescence choisie, et non pas subie, le problème environnemental n’est pas perçu. L’obsolescence perçue est d’ordre technologique, assortie d’une dimension sociale (ce que pense l’entourage), puis d’un détachement affectif. La moitié des téléphones remplacés sont conservés, quel que soit leur état de marche. Même s’il n’y a plus de valeur d’usage, le produit remplacé conserve une valeur aux yeux de son détenteur, la valeur résiduelle perçue, d’ordre utilitaire (ça peut servir), sentimentale (c’est un souvenir) ou économique (revente ou souvenir de la somme dépensée) », met en avant l’étude de l’Ademe réalisée sur 2 000 répondants représentatifs de la population adulte.
La mode, l’évolution du design, le désir d’avoir le dernier produit sorti poussent les consommateurs à acheter de nouveaux produits même si le leur fonctionnent encore, même parfaitement. « La principale obsolescence est cette obsolescence psychologique. Les marques réussissent à convaincre les consommateurs que leur produit est trop vieux », revendique le COO de Back Market.
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